Après des années et des années de pratiques souterraines, le scandale du Médiator a délié les langues et mis en exergue des méthodes pharmaceutiques parfois douteuses. Entre conflits d’intérêts multiples, marchés juteux de la médicalisation à outrance et cruel manque d’informations sur les précautions d’usage détournées à loisir, les laboratoires pharmaceutiques inquiètent. Sommes-nous tous des patients potentiels de maladies créées, ou plutôt largement amplifiées, par des commerciaux de laboratoires en quête de clients ?
Le potentiel commercial des grandes causes médicales
Alors que dans les pays riches nous vivons de plus en plus vieux, que nous bénéficions de plus en plus d’hygiène et de conditions de vie de plus en plus favorables, si ce n’est aseptisé, nous sommes de plus en plus malades. Une alimentation déséquilibrée, une sédentarité accrue, un stress du « toujours plus, toujours plus vite » qui nous ronge, peut-être, mais pas seulement…
Aujourd’hui on compte dans le monde 382 millions de diabétiques (majoritairement de type 2 : le diabète de la sédentarisation), en 2.000 on en comptait 177 millions selon l’OMS. Que s’est-il passé en 13 ans pour doubler ce chiffre ? Beaucoup de causes diverses mais aussi un abaissement de la norme : en 2.000 le seuil de glycémie qui considérait que l’on était diabétique était de 1,4 g/l de sang, aujourd’hui il est fixé à 1,26 g/l de sang. Pourquoi ce changement, sur quels critères ces chiffres ont-ils été obtenus ? Et si le patient se trouve entre 1,1 g/l et 1,26 g/l, il est désormais considéré comme pré-diabétique donc comme un patient à traiter et surtout à médicaliser… Par pur principe de précaution ou pour une autre raison moins bienveillante et bien plus mercantile ?
Même constat pour l’ostéoporose, une grave fragilisation de la masse osseuse touchant principalement les femmes de plus de cinquante ans. Moult campagnes ont été menées afin de sensibiliser les femmes à ce danger, pourtant une question se pose : pourquoi se base-t-on sur la masse osseuse d’une femme de trente ans pour déterminer celle que devrait avoir une femme de cinquante ? Le vieillissement de la masse osseuse n’est-il pas chose normale ? Peut-être. Mais celles qui auront été diagnostiquées en dessous de cette norme se verront prescrire le remède miracle en espérant qu’il ne devienne pas potentiellement toxique, comme certains médicaments sur la sellette actuellement.
«Mourir pour un produit dont vous n’avez pas besoin est quelque chose de très grave »
Soigner des malades qui n’existent que par leurs mises en rapport à des normes génériques émises plus ou moins mystérieusement pourrait sembler à priori sans danger, sauf pour les dépenses de santé publique… Mais quand les médicaments se transforment en poison comme ce fut le cas pour le tristement célèbre Médiator commercialisé par les laboratoires Servier, la surmédicalisation prend une tournure dramatique. Le Médiator, un antidiabétique, aurait été prescrit durant plus de 30 ans dans 80 % des cas hors de ses indications officielles soit comme… coupe-faim ! Bilan : l’Assurance-maladie imputerait 1.300 à 1.800 décès en France depuis 1979 à cause de ce médicament.
«Mourir pour un produit dont vous n’avez pas besoin est quelque chose de très grave » a témoigné le professeur Bernard Bégaud lors du procès Servier. Il ajoute durant cette même audience : «Il y a chaque année 18 000 morts directement liés à la prise de médicaments un tiers de ces décès correspondent à des prescriptions qui ne sont pas justifiées ». Un chiffre colossal comparé au nombre de suicides et d’accidents de la route annuels…
Regagner la confiance
Après les différentes remises en cause des organismes de santé dont la mise en examen de l’ancien AFSSAPS, il a fallu redonner une transparence à un système pharmaceutique largement pointé du doigt. Ainsi a été créée une nouvelle agence responsable du médicament l’ANSM qui se veut plus neutre que ces prédécesseurs afin de prémunir plus efficacement de ce type de dérive pharmaceutique les patients français.
Et finalement, à en croire les résultats d’une enquête menée en 2013 par Ipsos commandée par les entreprises du médicament (Leem), ce scandale tout comme ceux qui ont suivi (les prothèses mammaires, certaines pilules contraceptives…), n’aurait pas entaché la foi qu’ont les Français en leurs médicaments. Ils leur font confiance à 87 % ! Étrange pour des Français considérés bien souvent comme sceptiques, mais expliqué dans l’enquête par le fait que les Français se fient en réalité à leurs prescripteurs : les médecins.
En revanche ils sont tout à fait conscients, à 90 %, que les laboratoires pharmaceutiques sont des entreprises à fins lucratives. On découvrira aussi le point de vue des médecins : « la moitié d’entre eux estiment que beaucoup de médicaments ne servent à rien et 86 % admettront que l’on consomme trop de médicaments en France » bien qu’ils leur fassent largement majoritairement confiance.
Conscients mais impuissants, conscients mais aveuglés ? Que reste-il à faire, ne plus se soigner ? Certainement pas. Ouvrir les yeux et ne pas agir en « consommateurs » mais en personnes éclairées et averties semblerait une option nettement plus intéressante.
Que pensez-vous de ce business médical ? En tant que patients comme en tant qu’infirmières et infirmiers libéraux avez-vous toujours confiance en la qualité des médicaments mis sur le marché ? Pensez-vous que la suspicion concernant les méthodes commerciales des laboratoires pharmaceutiques est exagérée ou, au contraire, largement sous-estimée ?