Privatisation de la santé : les infirmières libérales s’interrogent - Albus, l'appli des infirmiers

Privatisation de la santé : les infirmières libérales s’interrogent

Privatisation de la santé : les infirmières libérales s’interrogent

Les infirmières libérales portent de nombreuses revendications pour améliorer le système de santé, le rendre plus efficient. Elles participent également, par leurs actions quotidiennes et leurs réflexions, à lutter contre la désertification médicale. D’autres acteurs se font jour également, et l’arrivée d’entreprises privées lucratives dans le domaine des soins primaires inquiète autant qu’elle interroge. Pourquoi les infirmières libérales sont elles-aussi concernées par cette forme de « privatisation de la santé » ?

 

Infirmière libérale ou privatisation de la santé ? Des inquiétudes sur l’avenir de notre système de santé

 

Les professionnels libéraux de santé peuvent apparaître comme une alternative à l’offre de soins, constitué par l’hôpital. Une alternative mais aussi une complémentarité, que les autorités publiques ne cessent, depuis des années, de renforcer. N’est-ce pas avec les infirmières libérales notamment, que se sont développé les stratégies d’hospitalisation à domicile ou les efforts en matière de soins ambulatoires ? Si les professionnels de santé, tant en ville qu’à l’hôpital, approuvent, en grande majorité, les incitations faites pour privilégier le travail coordonné, certains redoutent néanmoins les évolutions, que cela peut engendrer. Certains n’hésitent plus à dénoncer une « privatisation de notre système de santé », mettant en garde des conséquences de cette dernière tant sur les IDEL(s) et sur les autres soignants de ville, que sur les patients eux-mêmes.

C’est, par exemple, le sujet d’un dossier, que les journalistes d’Egora ont publié dans le numéro 326 de la revue du quotidien du médecin. Cette enquête a été initiée, après la révélation de l’ambition de la société, Ramsay France, de « racheter » 6 centres de santé d’Ile de France, 6 centres gérés actuellement par la Croix-Rouge française.

 

Les centres de santé, la porte ouverte pour l’arrivée des sociétés privées dans l’univers de la santé ?

 

Ces ambitions d’une société privée peuvent interpeller et même heurter les soignants comme les administratifs de ces centres de santé, qui, initialement, avaient fait le choix d’une association à but non lucratif. Cela ne concerne pas uniquement les infirmières ou les médecins mais bien l’ensemble des collaborateurs de ces centres, comme l’explique aux journalistes d’Egora un de ceux-ci :

« Être repris par une entreprise privée à but lucratif, qui va naturellement chercher à rapporter de l’argent à ses actionnaires, ce n’est plus le même engagement »

 

Si les interrogations sont nombreuses quant au désengagement de la Croix-Rouge française (L’association justifie ce dernier par des difficultés économiques chroniques), elles deviennent encore plus innombrables quand il s’agit d’expliquer l’arrivée d’une entreprise privée dans les soins primaires en France. Si Ramsay France, filiale du groupe australien Ramsay Health Care, a déjà annoncé vouloir devenir un acteur de soins primaires, la société a même affiché son ambition de devenir « la référence en matière de soins primaires en utilisant des solutions de consultation physiques et/ou digitales ». Figurant parmi les leaders de l’hospitalisation privée avec ses cliniques, le groupe entend surmonter les reproches qui lui sont faits notamment en ce qui concerne son manque d’expérience en matière de soins primaires. Dans son dossier de présentation, Ramsay France entend ainsi garantir une offre de soins « en particulier dans des zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès aux soins ». Un argument, qui ne manque pas de séduire, alors que les questions de pénurie de soignants et de désertification médicale concentrent l’attention des autorités publiques mais aussi des patients.

Privatisation et santé, un mariage impossible, une union contre-nature ?

 

Face à l’inquiétude soulevée par ce « rachat » des 6 centres de santé franciliens, Ramsay France a souhaité expliquer sa démarche et son projet aux élus des communes concernés. Une explication qui a séduit, puisque le conseiller municipal de Meudon chargé de la santé, M Yvan Tourjansky, expliquait aux journalistes, que le projet souhaitait bouleverser les habitudes avec « des médecins qui voient surtout les cas complexes, des infirmières en pratique avancée et un pôle de consultations téléphoniques et digitales. »

En revanche, de nombreuses infirmières libérales ou salariées mais aussi de nombreux médecins et d’autres soignants dénoncent cette approche, en soulignant que le groupe est déjà engagé dans d’autres initiatives. Dans le cadre de l’article 51 de la loi de financement de sécurité sociale pour 2018, Ramsay France s’est déjà engagé à ouvrir 5 maisons de santé, largement inspirées du modèle suédois. A cette quête d’efficience, les soignants répondent par la suspicion et les accusations de dévoiement d’un système de santé déjà fragilisé. Le Dr Hélène Colombani, présidente de la fédération nationale des Centres de Santé (FNCS) s’inquiétait publiquement de cette situation :

 

Ramsay Santé va-t-il devenir un acteur de la solidarité et œuvrer en faveur de l’accès de tous à la Santé ou va-t-il juste faire du business et se servir des centres comme porte d’entrée vers ses cliniques ?

 

Vers une évolution des centres de santé et des soins primaires ?

 

Pour certains médecins ou infirmières, la réponse à cette interrogation ne fait aucun doute. Pour s’en convaincre, ils invitent à étudier la répartition de ces centres de santé, tous situés à proximité de cliniques privées, gérées par …Ramsay France. On accuse alors l’entreprise de vouloir procéder par « filialisation », une accusation soutenue notamment par le vice-président de l’Union Syndicale des médecins de centres de santé (USMCS), le médecin généraliste Eric May. Ces centres de santé ne serviraient pas alors uniquement à devenir un acteur de référence des soins primaires, mais constitueraient la voie privilégiée pour orienter les patients vers les cliniques du groupe. Les partisans de cette interrogation s’interrogent alors sur la nécessaire information éclairée du patient mais aussi et surtout sur l’indépendance des soignants.

Le Dr Éric May va encore plus loin, en présentant ce danger comme une évidence inéluctable :

« Ne soyons pas naïfs, les centres de santé ne dégagent pas des bénéfices qui vont satisfaire les actionnaires du groupe privé. »

 

Cette intrusion des entreprises privées (Ramsay France n’est pas la seule concernée, puisque d’autres envisagent aussi d’ouvrir des centres de santé sous une forme ou sous une autre) pose donc de nombreuses questions, sans pour autant initier un débat public. Pourtant, qu’il s’agisse de la profession infirmière ou de toute autre profession médicale, ces dangers représentent bien plus qu’une évolution du système de santé mais constituent bien une dérive condamnable aux yeux du Code de la Santé Publique et des codes de déontologie respectifs à chaque profession.

Les spécialistes du secteur et les économistes mettent, eux-aussi, en garde en listant là encore les éventuelles dérives d’une telle privatisation. Même si ces entreprises privées soulignent leur engagement à lutter concrètement contre les déserts médicaux (en y installant une clinique par exemple), elles seront plus « tentées » en installer dans ces mêmes zones des centres de santé d’orienter les patients vers les seuls établissements de soins disponibles. C’est un dérèglement global du système de santé en France, qui pourrait alors être constaté. Si toutes ces menaces ne sont à l’heure actuelle qu’hypothèses et conjonctures, elles sont renforcées par les récentes révélations faites autour d’une autre entreprise privée, œuvrant dans un autre secteur de la santé : Orpéa.

Interrogé sur ces problématiques devant le Sénat, Olivier Véran, ministre de la Santé, a réaffirmé un principe déjà posé et accepté :

« Le privé lucratif a évidemment sa place dans notre offre de soins «

 

Il reste donc uniquement à savoir quelle sera cette place, et dans quelle mesure elle impactera sur les infirmières libérales, les médecins salariés ou non et sur tout l’écosystème des soins primaires en France.

Et vous, que pensez-vous de cette arrivée des entreprises à but lucratif dans les soins primaires ? Estimez-vous que cela pose question et que cela représente un danger pour le système de santé en France ? Quelles seront, selon vous, les conséquences d’une telle arrivée des entreprises privées pour les infirmières libérales ?

tous les commentaires

13 mai 2022

Toutes ces années d'efforts pour rien.. En libéral depuis 25 ans je me suis beaucoup investie tant sur le plan humain, personnel, privé, financier pour un métier que j'adore.. Une vraie passion... Beaucoup d'abnegation, peu de vacances, des journées de 12 h, des jours de repos à faire de la paperasse, de la compta, des milliers de kilomètres parcourus par année.. Tout ça pour ça !!!! Se faire traiter de tous les noms d'oiseaux ces deux dernières années.. Tout ça pour en arriver dans quelques années à devenir des machines à fric, à enrichir quelques capitalistes véreux.... Grrr je suis en colère😡😡 Que dois-je faire de tout ce que l'on nous a appris à l'école d'infirmière.. À savoir la compassion, l'abnégation, l'empathie, le bien être du patient,

09 mai 2022

Dans la mesure où les politiques et institutions ne considèrent pas la santé comme un investissement de responsabilité publique et solidaire, responsable en premier lieu des plus vulnérables, c'est forcément le domaine privé lucratif qui va en profiter et soigner les plus riches! Éthiquement c'est lamentable et contraire à l'esprit de l'ASSURANCE Maladie "fière de protéger" certainement pas les soignants qui continuent à fuir car ils refusent de cautionner ce mépris de ceux qui prennent soin. Ça va rapporter aux riches et coûter très très cher aux plus démunis; un ministre de la santé qui cautionne cette démission c'est à pleurer!

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