Refuser des soins ou mettre fin à des soins déjà commencés auprès d’un patient ne sont pas des décisions faciles à prendre pour une infirmière ou un infirmier libéral. A ces difficultés s’ajoutent des règles strictes et précises, que chaque professionnel de santé se doit de connaître.
Soumis au respect des lois, les infirmiers libéraux doivent également se conformer à leur propre code de déontologie et aux règles posées par le Code de la Santé Publique. A la lecture de ces différents textes, deux principes fondamentaux sont posés :
- Les infirmières et infirmiers libéraux sont soumis à une obligation de soins (assistance à toute personne en danger),
- Le refus ou l’interruption de soins ne peut jamais s’appuyer sur un motif discriminatoire. Tout manquement à cette obligation de non-discrimination peut être sanctionné.
Aussi, les règles encadrant le refus de soins et l’interruption de soins sont-elles très précisément définies, ainsi que les modalités à respecter pour en informer les patientes et les patients.
La non-discrimination, une obligation intangible pour les infirmières libérales
Au quotidien, une infirmière ou un infirmier libéral s’efforce non seulement de prodiguer les soins auprès de ses patientes et de ses patients, mais elle doit aussi chercher à se faire connaître afin de développer sa patientèle. Pourtant, dans certains cas, une infirmière libérale peut refuser les soins qui s’imposent à un patient. Cependant, ce refus de soins est strictement encadré par la loi, et ne pas respecter les règles qui s’imposent en la matière peuvent être très préjudiciables à cette professionnelle de santé.
Avant même de s’interroger sur le refus de soins de l’infirmière libérale, il convient de souligner que les IDEL(s) sont, comme tous les autres professionnels de santé, soumis à une obligation de non-discrimination. C’est l’article L 1110-3 du Code de la Santé Publique qui pose cette règle intangible en matière de soins. Si une infirmière libérale peut refuser des soins, il lui est interdit de le faire pour des raisons, pouvant être considérées comme un motif discriminatoire. L’âge, le sexe ou encore la situation de famille ne peuvent donc pas justifier un tel refus, de même que l’état de santé, le handicap, les mœurs ou orientations sexuelles, la religion,
Si ces motifs discriminatoires sont bien compréhensibles par les patients eux-mêmes comme par les infirmiers libéraux, le Code de la Santé Publique précise toutefois une autre forme de discrimination, basée sur un aspect économique. L’infirmière libérale ne peut donc pas refuser des soins à une personne au « motif qu’elle est bénéficiaire de la protection complémentaire ».
L’obligation de soins, une réalité pour les infirmiers libéraux et tous les professionnels de santé
Bien qu’une infirmière libérale ne puisse pas, comme on vient de le voir, refuser des soins pour un motif discriminatoire, elle est même « obligée » de prodiguer les soins qui s’imposent. Cette obligation résulte de l’article 223-6 du Code Pénal qui pose le principe de l’obligation d’assistance à personne en danger. Cette obligation concerne tous les individus, mais elle est renforcée par l’article R. 4312-6 du Code de la Santé publique qui stipule : « l’infirmier ou l’infirmière est tenu de porter assistance aux malades ou blessés en péril. »
De nombreux débats ont déjà eu lieu pour définir la notion de péril, de même que la Jurisprudence a déjà reconnu qu’une infirmière libérale était une professionnelle capable d’identifier une personne malade ou blessée sans l’établissement d’un diagnostic par un médecin.
C’est donc en dehors de ces situations, qu’une infirmière libérale pourra refuser de prodiguer des soins à un patient voire de mettre fin aux soins, qu’elle a déjà commencé à appliquer.
Le refus de soins par l’infirmière libérale, un cadre strictement réglementé
Le Code de la Santé Publique précise, que toute infirmière libérale doit refuser les soins, qui dépassent son domaine de compétences, et on le comprend aisément. Mais en tant que professionnelle indépendante, l’infirmière libérale peut aussi s’organiser comme elle le souhaite et donc refuser des soins à un patient. Ainsi, le même article L 1110-3 considère comme légal le « refus de soins fondé sur une exigence personnelle ou professionnelle essentielle et déterminante de la qualité, de la sécurité ou de l’efficacité des soins. »
Ce refus pourra donc être justifié par le refus de travailler certains jours ou à certaines heures, ou encore par la menace pesant sur l’infirmière libérale en cas de déplacement dans des quartiers sensibles par exemple. Le Code de la Santé publique n’a pas estimé utile de lister l’ensemble des raisons acceptables. En revanche, il ne faut pas que le patient ressente une discrimination, auquel cas il pourrait contester la validité d’une telle décision.
Par exemple, aux termes de la loi, une infirmière libérale serait en droit de refuser de se déplacer au domicile d’un patient, au motif qu’elle craint pour son intégrité physique. Le motif peut apparaître légitime puisque mettant en jeu la sécurité de l’infirmière libérale. En revanche, le patient résidant dans un quartier sensible, dans lequel l’infirmière libérale refuse de se rendre, peut se sentir discriminé. Il ne peut pas accéder aux soins dont il a besoin à cause de son lieu d’habitation. La frontière entre refus de soins et obligation de soins peut être ténue.
L’interruption de soins, une décision lourde de conséquences à prendre en toute connaissance de cause
S’il peut être difficile de comprendre précisément le cadre légal du refus de soins (et donc encore plus difficile de l’appliquer), la situation se complique dès lors que l’infirmière ou l’infirmier libéral a commencé à prodiguer les soins aux patients. Le professionnel de santé peut-il légalement mettre un terme à des soins qu’il a déjà commencé à prodiguer ?
Bien évidemment, les mêmes règles s’appliquent que pour le refus de soins, et cette interruption ne peut être fondée sur un motif discriminatoire. Car dès lors qu’une infirmière libérale accepte de prodiguer les soins à une patiente ou à un patient, elle est contrainte de respecter un principe cher à la déontologie infirmière : la continuité des soins. Et en la matière, le Code de la Santé publique est formel : « La continuité des soins doit être assurée quelles que soient les circonstances ». Les infirmières et infirmiers libéraux sont concernés par cette obligation, puisque l’article R 4312-30 précise : « Dès qu’il a accepté d’effectuer des soins, l’infirmier ou l’infirmière est tenu d’en assurer la continuité (…) «
Cependant, l’IDEL peut interrompre les soins en justifiant un motif (professionnel ou personnel) néfaste à la sécurité, à la qualité ou à l’efficacité de la prise en charge du patient. Le code de la santé publique ne liste pas les motifs pouvant être évoqués, mais le premier d’entre-eux reste la dégradation du lien entre l’infirmière libérale et son patient. Cependant, même si le motif invoqué pour l’interruption de soins est légitime, l’infirmière libérale doit tout faire pour « ne pas nuire au patient », notamment en s’assurant de la continuité des soins. Cela implique un certain formalisme et des obligations pour l’infirmière ou l’infirmier libéral.
Le formalisme à respecter en cas d’interruption de soins par l’infirmière libérale
Selon les termes des articles concernés du Code de la Santé Publique, l’infirmier libéral est tenu d’expliquer sa décision (l’interruption de soins) au patient ou à sa famille. Il doit notamment en lister la (ou les) raisons. Cette information peut être délivrée au cours d’un entretien entre l’IDEL et son patient, mais pourra aussi faire l’objet d’une lettre dans les situations les plus difficiles.
L’infirmière libérale devra également informer son patient ou sa famille des possibilités qui lui sont offertes à partir de ce refus. Elle fournira ainsi la liste départementale des infirmiers susceptibles d’assurer les soins prescrits. La Jurisprudence estime que l’infirmière libérale doit laisser un délai raisonnable au patient pour qu’il puisse s’organiser et ne pas le laisser dans le désarroi. En revanche, aucune décision juridique ne précise la durée de ce délai raisonnable.
Enfin, l’infirmière ou l’infirmier libéral devra obtenir l’accord du patient ou de sa famille, avant d’envoyer la fiche de synthèse de soins et tous les documents nécessaires au médecin prescripteur.
Les recours des patients, une procédure auprès de l’ONI
Les patients (ou leur famille, leur entourage) peuvent s’estimer discriminés malgré l’attention portée par les IDEL(s) au respect de ces règles. Ils peuvent alors saisir le conseil départemental de l’Ordre National des Infirmiers (ONI) ou leur service d’assurance maladie. Une conciliation sera alors conduite entre les deux parties, et en cas d’échec de cette procédure, une action sera introduite devant la chambre disciplinaire. Le code pénal prévoit notamment une amende pouvant atteindre 45.000 € et jusqu’à 3 ans d’emprisonnement pour toute forme de discrimination.
On comprend bien, que le refus ou l’interruption de soins restent deux décisions de l’infirmière libérale, qui sont strictement encadrées. L’interprétation des différents textes a déjà donné lieu à de nombreuses décisions de justice, même si cela n’a pas encore permis d’apporter tous les éclaircissements nécessaires pour clarifier définitivement cette épineuse question. La problématique est d’autant plus importante, que les sanctions encourues sont lourdes.



