Les relations entre les infirmiers libéraux et les personnes qu’ils soignent au quotidien peuvent devenir très fortes et il n’est pas rare de voir des familles ou des patients désireux d’exprimer leur gratitude. Mais les infirmiers peuvent-ils accepter des cadeaux, voire des dons de la part des patients ?
Accepter un « cadeau raisonnable » (mug au nom de l’IDEL, boite de chocolat, blouse , stylo, stéthoscope , …) peut apparaître de bon sens, mais très rapidement des questionnements d’ordre éthique et déontologique peuvent se poser. Idéal et parfait pour démontrer sa reconnaissance, un cadeau peut aussi apparaître comme une forme de corruption, dans certains cas.
Les cadeaux aux soignants, une décision personnelle strictement encadrée
La relation entre une infirmière libérale et son patient dépasse, bien souvent, la simple relation de soins. Parfois, plusieurs visites quotidiennes sont organisées pendant des années. Certes, le travail de l’IDEL se concentre sur sa pratique professionnelle, mais des relations personnelles peuvent se tisser au fil du temps. Les patientes et les patients peuvent alors éprouver le besoin d’exprimer leur gratitude, notamment à travers des cadeaux, qu’ils vont personnaliser en fonction de la relation. Au cours de sa vie professionnelle, tout IDEL sera confronté à cette situation : un patient reconnaissant souhaite lui offrir un cadeau unique et original. Il s’agit d’un excellent, voire du meilleur, moyen de marquer sa reconnaissance.
Sur un plan strictement juridique, tout le monde peut disposer librement de ses biens, et donc faire des cadeaux à qui bon lui semble : « la libéralité est l’acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens (…) au profit d’une autre personne » (Article 893 du Code Civil). Ce même code définit même cette notion de cadeaux, en précisant que « la donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l’accepte » (Article 894). Cette liberté a toutefois été encadrée et restreinte pour les professionnels de santé en général, et les infirmiers libéraux en particulier.
L’infirmière libérale, une soignante soumise à des règles et à une déontologie
La relation de soins constitue une relation particulière. Le législateur a multiplié les dispositions pour protéger les patientes et les patients. Ainsi, plusieurs textes législatifs interdisent aux professionnels médicaux de recevoir des dons de la part des patients qu’ils soignent. Le Code de la santé publique, dans son article R. 4312-17, stipule par exemple que les infirmiers ne peuvent pas profiter de leur situation de soignant pour obtenir quelque chose. La relation de soins peut induire une dépendance des patients au bénéfice de leurs soignants.
Le Code Civil, dans son article 909, indique quant à lui que les personnes ayant une profession médicale, infirmiers y compris, ne peuvent pas recevoir de dons de la part d’un patient atteint d’une maladie dont il meurt.
A priori, un cadeau ne survenant pas durant la dernière maladie du patient ne devrait donc pas être interdit par la loi. Mais tout reste une question d’interprétation. La jurisprudence a précisé règles d’application.
Par exemple, l’infirmier ne doit pas être suspecté d’avoir abusé de la maladie du patient et de sa situation. En effet, étant donné qu’une personne malade peut être considérée comme affaiblie et influençable, un cadeau effectué dans de telles circonstances pourrait être qualifié d’abusif. Le Code pénal traduit cette réalité en punissant les abus de faiblesse causée par la maladie. L’infirmier libéral peut alors se voir condamner à 3 ans d’emprisonnement, ainsi qu’à verser une amende pouvant aller jusqu’à 375 000€. Toute rémunération directe ou indirecte de la part d’un patient et qui n’est pas prévue dans la Nomenclature Générale des Actes Professionnels (actes rémunérés identifiables grâce à un logiciel de gestion infirmier par exemple) est donc soumise à controverses et à interprétation.
Du cadeau à la corruption, les limites posées à la pratique de l’exercice infirmier
Même en considérant que les infirmiers ont le droit d’accepter des biens de leurs patients, la problématique du cadeau des seconds aux premiers reste tout de même non-résolue. Certains infirmiers libéraux se posent parfois cette question : le patient fait-il un cadeau ou un don par simple gratitude ou essaie-t-il de me corrompre pour influencer la qualité de mes soins ? Il ne s’agit pas de s’interroger sur la nature ou le design même de ce présent, mais bien de comprendre à quoi il correspond.
Il est vrai que les frontières entre cadeau et corruption peuvent être très minces et que le jugement du geste doit plutôt être fait au cas par cas, en fonction de la relation existant entre l’infirmier et le patient. Cependant, certaines situations peuvent être plutôt claires : une boîte de chocolats offerte à la fin d’un traitement peut être considérée comme de la reconnaissance, alors qu’à l’inverse une somme d’argent distribuée au tout début de la prise en charge du patient par l’IDEL peut plutôt s’apparenter à de la corruption.
