Pilulier à domicile – enjeux, tension entre pharmaciens et IDEL
La préparation des piluliers (ou PDA : préparation des doses à administrer) est une réalité de terrain incontournable pour les professionnels de santé face au vieillissement démographique et à l’augmentation des patients polypathologiques. De plus en plus de personnes âgées, souvent en perte d’autonomie, nécessitent une assistance dans la gestion de traitements parfois complexes, comprenant plusieurs molécules à prendre à des horaires différents.
Cette responsabilité est souvent confiée de fait aux infirmières libérales, qui assurent non seulement la distribution des médicaments durant leur visite à domicile, mais aussi la surveillance des effets, le suivi de l’observance thérapeutique et la prévention des erreurs médicamenteuses. Dans ce contexte, une bonne coordination entre pharmaciens et IDEL est essentielle, tout comme une clarification des rôles et des responsabilités de chacun, dans le respect de la loi et au service de la sécurité du patient.
Mais la préparation des piluliers soulève souvent des questions concrètes et parfois conflictuelles entre pharmaciens et infirmières libérales. Qui est habilité ? Qui est responsable en cas d’erreur ? Et comment valoriser ce travail de l’IDEL si la NGAP n’est pas consensuelle à ce sujet ? On vous propose un tour d’horizon clair pour vous aider à sécuriser votre pratique.
Ce que dit la loi sur la préparation des piluliers à domicile
Un cadre réglementaire strict
En vertu de l’article R4312-29 du Code de la santé publique, l’infirmier ou l’infirmière doit respecter les prescriptions médicales dans leur intégralité sans les modifier, en veillant à ce que le patient reçoive les soins prescrits par leur médecin dans des conditions de qualité et de sécurité.
Cette disposition implique que l’IDEL n’a pas compétence pour préparer elle-même le pilulier, ce rôle étant réservé aux pharmaciens dans le cadre de la dispensation pharmaceutique adaptée (PDA). Ainsi, le pharmacien est le professionnel habilité à conditionner les médicaments en doses journalières dans le respect des Bonnes Pratiques de Dispensation à Domicile et selon l’article R4235-48 du Code de la santé publique, tandis que l’infirmier assure la distribution aux patients.
Ces règles actuelles s’inscrivent dans une évolution progressive du cadre réglementaire depuis les années 2000, visant à clarifier les rôles de chacun dans le parcours de soins. À l’origine, les actes de préparation des piluliers à domicile n’étaient pas encadrés spécifiquement, ce qui laissait place à des pratiques disparates entre professionnels. Aujourd’hui, le législateur encourage une collaboration renforcée entre pharmaciens et infirmiers, pour garantir la sécurité des soins, éviter les risques d’erreurs médicamenteuses et l’automédication des patients et accroître la vigilance dans le suivi des traitements.
Obligations déontologiques des deux professions
La préparation des piluliers relève donc normalement de la pharmacie, notamment dans les circuits officinaux. Le respect des bonnes pratiques de dispensation adaptée est requis : traçabilité, conformité aux prescriptions, clarté des conditions de préparation.
Les infirmiers, eux, sont autorisés à administrer et surveiller les traitements, mais non à préparer les sachets médicamenteux. Seule la pharmacie peut offrir légalement ce service. Le Code de déontologie infirmier prescrit le respect strict de la prescription médicale sans altération, et recommande la collaboration avec le pharmacien pour sécuriser l’administration.
Responsabilités en cas d’erreur dans le circuit du pilulier
Pharmacien préparateur + IDEL distributeur : qui est responsable ?
En cas d’erreur (médicament non-conforme, patient mal informé), la responsabilité professionnelle est partagée. Le patient ou sa famille peut engager une action en responsabilité civile professionnelle contre le praticien concerné, voire saisir le Conseil de l’Ordre pour une procédure disciplinaire. Il est donc essentiel que chacun conserve des preuves écrites (ordonnance numérique ou au moins prise en photo, protocoles médicaux et d’administration) en cas de litige.
- Le pharmacien engage sa responsabilité sur la conformité du contenu (dosage, bon médicament, date, conditionnement), comme le rappellent les Bonnes Pratiques de Dispensation à Domicile.
- L’IDEL, en distribuant et administrant, est tenu à un devoir de vigilance. En cas d’erreur (médicament non-conforme, patient disparité), sa responsabilité est également engagée.
En somme, double chaîne de responsabilité : chaque professionnel doit pouvoir démontrer qu’il a accompli sa mission avec diligence et traçabilité.
Quelles bonnes pratiques pour prévenir les litiges ?
- Des protocoles écrits interprofessionnels : qui fait quoi, comment, et avec contrôle.
- Une double vérification : croisement entre les données de l’ordonnance et la préparation à la pharmacie.
- Une traçabilité complète : dates de préparation, lot, personne responsable.
- Une communication active (et de préférence bienveillante !) entre IDEL, pharmacien et médecin.
Coter l’acte de préparation du pilulier : les enjeux financiers pour l’IDEL
La cotation actuelle pour les soins médicamenteux
La cotation des actes de soins infirmiers a évolué depuis la mise en place du BSI (Bilan de Soins Infirmiers) qui remplace désormais les anciens actes AIS 3, AIS 3.1 et AIS 4. Cependant, il n’existe toujours pas de cotation spécifique dédiée à la “préparation des piluliers”. La PDA n’est pas reconnue comme un acte spécifique dans la nomenclature, elle n’est donc techniquement pas facturable.
Or, la préparation des piluliers est une activité chronophage : selon plusieurs retours terrain, elle peut nécessiter entre 15 et 30 minutes par patient, incluant la vérification des prescriptions, la manipulation des médicaments et l’administration proprement dite. Or, la rémunération actuelle via le BSI (Bilan de Soins Infirmiers) est forfaitaire et regroupe l’ensemble des soins réalisés lors d’une visite, sans distinction spécifique pour ce type d’acte.
Implications financières pour l’IDEL
- Depuis plusieurs années, l’Assurance Maladie rappelle que la « préparation des doses » n’est pas remboursée .
- En pratique, l’IDEL peut l’inclure dans son BSI, mais cela n’augmente pas nécessairement la rémunération.
- Problème : cette absence de cotation spécifique entraîne un sentiment de travail non valorisé chez les IDEL, malgré le temps qui y est consacré : préparation, vérification, administration, adaptation.
Pour une coordination claire et sécurisée
Pour sécuriser le circuit des piluliers de la pharmacie au domicile, il est crucial que pharmacien et IDEL travaillent via protocoles clairs, définissant les responsabilités précises de chacun des acteurs et mettent en place une traçabilité rigoureuse.
La valorisation financière reste un enjeu encore aujourd’hui : peut-on s’attendre à une nouvelle évolution de la NGAP pour que cet acte soit reconnu comme facturable ? Affaire à suivre…
En tout cas, en construisant une coopération solide et en plaidant pour un nouvel avenant dans le futur, les IDEL peuvent faire reconnaître le temps, la compétence et la responsabilité liés à cette activité essentielle pour la sécurité et l’observance des patients.
À ce titre, les futures négociations conventionnelles (avenants à la convention nationale infirmière) pourraient prévoir une cotation dédiée à la PDA, comme c’est déjà le cas dans d’autres pays tels que la Belgique ou la Suisse, où une indemnisation spécifique est prévue pour ce service. Cette future reconnaissance contribuerait à valoriser le rôle clé des infirmières libérales dans le suivi thérapeutique et la prévention des risques médicamenteux à domicile.
