Entre kilomètres avalés, facturations contestées et indus réclamés, les indemnités de déplacement sont devenues le cauchemar des infirmières libérales. En 2025, la règle du jeu paraît claire sur le papier mais se transforme en parcours du combattant dès qu’on parle d’agglomération et d’indemnités kilométriques (IK).
Pour les IDEL, la tournée quotidienne ne se limite pas à piquer, panser et rassurer. Elle implique aussi une dimension logistique incontournable : se déplacer, parfois beaucoup, pour rejoindre chaque patient. Et c’est là qu’entrent en scène les fameuses indemnités de déplacement, le cauchemar de nombreuses infirmières libérales. Pourtant, sur le papier, tout semble simple : chaque déplacement est indemnisé selon des règles précises fixées par la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP).
Mais dans la réalité, c’est souvent une tout autre histoire. Les indemnités de déplacement riment avec incompréhension, paperasse et, trop souvent, indus réclamés par la CPAM. En 2025, le système reste une source de crispation majeure pour la profession, coincée entre la nécessité de soigner et l’obligation de jongler avec une réglementation opaque.
Le principe de base est le suivant : chaque fois qu’une IDEL se déplace au domicile d’un patient, celle-ci perçoit une indemnité forfaitaire de déplacement (IFD). À cela peuvent s’ajouter, sous conditions strictes, des indemnités kilométriques (IK). La logique est d’indemniser non seulement le temps passé, mais aussi les frais réels liés à l’essence, à l’usure du véhicule et à la multiplication des trajets. Sauf qu’entre théorie et pratique, un gouffre s’est creusé. Car la notion centrale de « même agglomération » – qui conditionne le droit aux IK – fait l’objet d’interprétations différentes selon qu’on se réfère au Code de la route ou à l’INSEE. Résultat : un flou juridique qui coûte cher aux IDEL, souvent sommées de rembourser des milliers d’euros d’IK qu’elles pensaient pourtant facturer dans les règles.
Alors que les soins à domicile constituent un pilier de notre système de santé, le casse-tête administratif (Albus Latitude est là pour vous accompagner) autour des indemnités de déplacement empoisonne le quotidien des IDEL. D’un côté, les CPAM affûtent leurs contrôles pour traquer les « indus ». De l’autre, les infirmières, déjà épuisées par des journées de 12 heures et des kilomètres avalés sans compter, doivent en plus se transformer en juristes pour défendre leur bon droit.
Les IK, le nerf de la guerre
Les indemnités kilométriques (IK donc) constituent l’un des points les plus sensibles de la facturation infirmière, une vraie charge mentale. Elles sont censées couvrir les déplacements au-delà du forfait de base. En pratique, elles ne sont accordées que lorsque deux conditions cumulatives sont remplies : que le domicile du patient se trouve dans une autre agglomération que le lieu d’exercice de l’infirmier, et que la distance minimale de deux kilomètres en plaine (un kilomètre en montagne) soit atteinte, aller-retour compris. Dit comme ça, cela semble clair. Mais la réalité est tout sauf limpide.
Car tout repose sur la définition de l’agglomération. Si l’on se fie à l’INSEE, une agglomération est une unité urbaine de plus de 2 000 habitants avec une continuité de bâti. Si l’on se réfère au Code de la route (article R.110-2), l’agglomération est délimitée par des panneaux d’entrée et de sortie installés par les communes. La différence se fait directement ressentir au niveau des indemnités kilométriques : dans le premier cas, deux villages distants de plusieurs kilomètres mais considérés comme appartenant à la même unité urbaine ne donnent pas droit aux IK. Dans le second, le simple fait de franchir un panneau justifie la facturation. On comprend vite pourquoi les CPAM et les IDEL ne jouent pas toujours avec les mêmes règles.
Et cet enjeu est loin d’être anecdotique, bien au contraire. Pour une IDEL de campagne qui enchaîne les trajets entre hameaux, les indemnités kilométriques représentent parfois plusieurs centaines d’euros par mois. Leur suppression arbitraire ou leur contestation a donc des conséquences directes sur l’équilibre financier du cabinet. Certaines CPAM appliquent la définition de l’INSEE et déclenchent des procédures d’indu, exigeant le remboursement de sommes déjà perçues. Pour les infirmières libérales, c’est un véritable coup de massue : non seulement elles ont avancé des frais réels de carburant, mais elles doivent en plus rembourser des indemnités déjà encaissées, souvent sur plusieurs années.
À ce flou juridique s’ajoute une injustice territoriale. Une infirmières libérale travaillant dans une petite commune isolée bénéficie plus facilement des IK qu’un consœur en périphérie d’une grande ville, où les communes sont intégrées dans une vaste unité urbaine selon l’INSEE. Résultat : deux infirmières parcourant la même distance ne sont pas indemnisées de la même façon, simplement parce que leurs communes respectives ne sont pas définies pareil. En 2022, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a tenté de mettre de l’ordre en affirmant que la définition du Code de la route devait prévaloir. Mais en 2025, certaines CPAM continuent de camper sur leur lecture, obligeant les infirmières à contester.
Ce flou permanent génère une insécurité juridique et financière insupportable. Beaucoup d’IDEL n’osent même plus facturer les indemnités kilométriques par crainte d’un redressement ultérieur. C’est pourtant leur droit, et surtout une juste compensation de leur investissement quotidien. Mais tant que les CPAM persisteront à appliquer des règles variables, l’IK restera une épine dans le pied d’une profession déjà fragilisée.
Mais alors, que faire ?
Face à ces refus, les IDEL n’ont pas d’autre choix que de se lancer dans une procédure de réclamation. Un parcours long, fastidieux et semé d’embûches, mais indispensable pour ne pas perdre plusieurs milliers d’euros.
La première étape est la réclamation amiable. L’infirmière doit écrire à sa CPAM, le plus souvent au service médical ou au service des indus, par courrier recommandé avec accusé de réception. Dans cette lettre, il faut exposer les faits, rappeler la base légale (NGAP, Code de la route, jurisprudence), et fournir les preuves : cartes, plans, relevés kilométriques, photos de panneaux. L’objectif est de montrer que les IK facturées l’ont été en parfaite conformité avec la réglementation. Certains dossiers passent à ce stade, d’autres non.
Si la CPAM maintient son refus, la deuxième étape est la saisine de la Commission de Recours Amiable (CRA). Là encore, tout doit être fait par recommandé avec accusé de réception, dans un délai de deux mois. La CRA est censée réexaminer le dossier en toute impartialité. Dans les faits, elle confirme souvent la décision de la CPAM. Mais c’est une étape obligatoire avant d’aller plus loin.
Le dernier recours est judiciaire. L’IDEL peut saisir le tribunal judiciaire, pôle social, qui a compétence en matière de litiges avec la sécurité sociale. C’est devant ce juge que la jurisprudence prend tout son sens. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence de 2022, qui valide la définition du Code de la route, constitue un précédent important. En l’invoquant, de nombreux infirmiers ont obtenu gain de cause. Mais la procédure est longue, stressante et nécessite parfois un avocat spécialisé. Difficile à gérer quand on enchaîne déjà des journées de soins interminables.
Cette situation révèle une absurdité : pour obtenir le remboursement légitime de leurs indemnités kilométriques, les IDEL doivent se transformer en juristes (une charge en plus), multiplier les courriers, patienter des mois, voire des années, et s’exposer à des audiences devant un tribunal. Pendant ce temps, l’État répète qu’il veut favoriser le maintien à domicile et que les infirmières libérales sont un maillon essentiel du système de santé. Une contradiction flagrante. Au fond, le problème des indemnités kilométriques illustre parfaitement le paradoxe de l’administration française. Tout le monde s’accorde à reconnaître le rôle essentiel des infirmières libérales, surtout en période de désertification médicale. Mais dès qu’il s’agit de reconnaître financièrement leur travail et leurs contraintes, on chipote sur la définition d’un panneau d’agglomération.



