Malgré des promesses répétées et l’ouverture officielle des négociations conventionnelles, les IDEL continuent de travailler dans des conditions dégradées. Face à l’inaction ou aux lenteurs gouvernementales, la grève devient-elle leur seul levier de pression efficace ? Et si le 10 septembre 2025 était le moment pour les infirmières libérales de se faire réellement entendre ?
Depuis plusieurs années, les infirmières libérales dénoncent une dégradation continue de leurs conditions de travail. Mais comme dirait l’autre, ça rentre par une oreille et sort par une autre. En effet, les promesses gouvernementales tardent à arriver et sont souvent repoussées.
Parmi les annonces récentes, le 7 juillet dernier, ont débutées les premières négociations conventionnelles des IDEL à la CNAM, en présence des trois syndicats représentatifs de la profession, ainsi que des représentants de la CNAM et de l’UNOCAM. Pour le moment, rien de concret, mais les négociations devraient continuer jusqu’à la fin de l’année. En parallèle, en juin dernier, une adoption de loi a été validée au Sénat sur la profession infirmière, faisant entrer consultation, diagnostic et prescription dans le cadre légal des IDEL. Sur le papier, ça fait sérieux.
Néanmoins, dans les faits, le quotidien est toujours sous tension, comme pour les hôpitaux ou les médecins, et du côté des IDEL, ça grince. Les motifs d’épuisement et de colère sont multiples : la perte de pouvoir d’achat face à l’inflation, l’explosion des charges, les indus récurrents et abusifs reprochés par la CPAM, la généralisation d’un outil informatique bugué et mal calibré qui pénalise les soins complexes, et enfin l’absence de revalorisation tarifaire significative sur les actes (AMI, IFD, forfait C du BSI) depuis une décennie voire plus . Bref, les annonces fleurissent, le réel avance à pas de tortue.
La grève : un levier nécessaire et efficace
Les droits de grève des IDEL – comme pour tout travailleur en France – reposent sur un socle constitutionnel : ce droit est garanti depuis 1946, encadré par le Code du travail et la jurisprudence. En pratique, une IDEL peut décider collectivement — ou en réponse à un appel syndical — de suspendre toute nouvelle prise en charge (appelée « grève des nouveaux soins »), tout en assurant les soins déjà commencés, garantissant ainsi la continuité des soins et respectant la déontologie.
Contrairement au secteur public, il n’y a pas d’obligation de préavis individuel, même si les organisations syndicales recommandent généralement un préavis de cinq jours lorsqu’il y a appel interprofessionnel. Tant qu’il n’y a pas « d’entrave directe à la liberté de travailler », le mouvement reste légal, et aucun salarié ne peut être licencié ou sanctionné pour avoir fait grève d’une manière licite.
Parmi les nombreux mouvements de contestation des infirmières libérales, il y a notamment eu celui de décembre 2023 à janvier 2024, impulsé par Convergence Infirmière puis soutenu par l’ONSIL : plusieurs IDEL ont refusé toute nouvelle prise en charge pendant plusieurs semaines afin de faire pression sur l’ouverture de négociations conventionnelles. Les revendications visaient notamment la revalorisation des actes, un moratoire sur les indus, et une révision du BSI. Résultat : l’ouverture formelle des négociations, la mise à l’agenda politique des revendications, et une visibilité médiatique notable.
D’autres mouvements ont également permis une mobilisation nationale des IDEL, exemple avec la journée du 20 novembre 2018 autour du hashtag #InfirmièresOubliées. Sur l’ensemble du territoire, de Rennes à Grenoble, en passant par Pointe-à-Pitre, Saint-Denis, Lille, Marseille et Bordeaux, de nombreux rassemblements se sont déroulés, initiés par plusieurs syndicats (FNI, SNIIL, Convergence Infirmière, ONSIL). À chaque mobilisation, même si tous les objectifs n’étaient pas atteints, la profession a démontré sa capacité à faire bouger les lignes, en imposant dialogue et reconnaissance.
Pourquoi la grève est‑elle si efficace ? Elle met les infirmières dans une posture de profession stratégique : en bloquant l’entrée de nouveaux patients, elle exerce une pression sans désertion, respectant le devoir de soins tout en symbolisant une crise du système de soins à domicile. C’est un équilibre subtil entre contestation et responsabilité, qui oblige les pouvoirs publics à entendre les revendications. Si les mouvements de contestations sont bien orchestrés et soutenus par les organisations et les syndicats, ils deviennent alors une pression politique difficilement négligeable par le Gouvernement.
Le 10 septembre, le moment ou jamais ?
La rentrée de septembre s’annonce mouvementée et d’importants mouvements sociaux sont annoncés. Parmi ces mouvements sociaux, le 10 septembre 2025 est annoncé comme le rendez-vous majeur. En effet, à l’appel d’intersyndicales interprofessionnelles, des secteurs variés (éducation, transport, santé, fonction publique) prévoient de faire entendre son raz-le-bol avec des boycotts, manifestations et grèves. Les principales contestations se focalisent principalement sur les mesures budgétaires prises par le Gouvernement Bayrou en juillet, et notamment le projet de loi de financement de la Sécurité Sociale.
Cette date, très visible dans le calendrier politique, coïncide avec la rentrée parlementaire et marque un moment où médias et décideurs sont particulièrement attentifs.
Pour les IDEL, intégrer cette mobilisation représente une double opportunité : bénéficier de la dynamique nationale tout en faisant émerger leurs revendications spécifiques — revalorisation des actes, fin des indus abusifs, réforme du BSI, reconnaissance de la pénibilité en libéral. Pour le moment, aucun appel syndical IDEL spécifique au 10 septembre n’a officiellement fait appel à la grève ou à la manifestation. Mais cela laisse la porte ouverte à une action ciblée : grève des nouveaux soins, participation aux manifestations nationales, piquets devant les ARS ou CPAM, présence dans les cortèges.
Participer à la mobilisation nationale, même sans appel syndical propre, ne dispense pas du cadre légal. Les revendications doivent rester d’ordre professionnel : si le mouvement inclut aussi des dimensions politiques, celles-ci doivent demeurer secondaires pour ne pas rendre le mouvement illicite. Les IDEL peuvent ainsi organiser un refus collectif de nouvelles prises de soins, informer en temps utile les parties prenantes, tout en occupant des points de visibilité publique.
Ce double positionnement – dans un mouvement global et avec des actions spécifiques à leur champ professionnel – peut créer un effet de synergie puissant. Cela accroît la pression sur les décideurs et rend audible une profession fragmentée. Le 10 septembre pourrait donc être le jour où les IDEL cessent d’être la périphérie visible du système de santé, sans abandonner les soins évidemment. Envisager ce jour‑là une stratégie hybride (grève symbolique des nouveaux soins, présence physique dans des rassemblements, interpellation directe des représentants locaux), c’est maximiser l’impact sans compromettre l’éthique professionnelle. Voilà pourquoi, malgré l’absence d’appel national précis, le 10 septembre mérite réflexion pour toute IDEL souhaitant peser dans le débat social et transformer les promesses en avancées concrètes.



